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Pascal Craveri - Auteur BD

Je suis auteur de BD, illustrateur et portraitiste. Edité chez MORRIGANE éditions sur 4 romans jeunesse. Auteur également de la série BD en 3 tomes "SUIS LE FLEUVE" chez YIL édition. Depuis 2010 je dessine mon fils tous les mois! :)

Le Coût d'une journée - Chapitre 3 : Le droit de souffler _ 10

Publié le 18 Mai 2024 par Pascal Craveri

Éric se réveille brusquement. Il est en nage. C’est comme s’il avait été en observation, sous traitement médicamenteux, après qu'on ait essayé de lui laver le cerveau ; mais cela n'avait pas marché, bien au contraire… Cela avait attisé sa colère.

C’était bien avant : comme en transe, imbibé d'une colère noire, il avait débattu avec toute sa fratrie et au-delà de son cercle de connaissance, au point d'en perdre pied. Mais il n'était pas question qu’on le laisse s'exprimer, il fallait y mettre un terme. Il fallait le brider.

Ils le prirent alors en tenaille et le plaquèrent au sol. Appliquant le supplice de la roue, ils se mirent à tirer sur chacun de ses membres. Bras et jambes ne furent pourtant pas arrachés. Éric se comportait comme une cellule faisant sa mitose. Des copies de lui se tenaient par les bras et par les jambes formant une mosaïque infinie.

Voulant retranscrire ce rêve rapidement, Éric alluma son portable dans l'obscurité de la nuit. Un moustique en profita pour le piquer. Désormais il lui était impossible de se rendormir.

6h, Éric descend les escaliers espérant être le premier à pouvoir se laver, mais la lumière du couloir est déjà allumée. Il entend le bruit du jet de la douche. Sa sœur en sort mais est vite remplacée par son fils.

Son livre en main, Éric attend son tour en s’asseyant sur le Rocking-chair.

Vincent prolongeant son séjour dans la salle de bain, Lucie perd patience et invite son frère à attaquer le petit-déjeuner. Elle lui propose de goûter du beurre de cacahuète avec de la confiture de mûres, du fromage et du jambon sur du pain. Il teste. Curieux… mais très bon ! Elle lui adjoint des œufs brouillés puis pour terminer il prend le classique café + pain et pâte à tartiner.

Avant de partir au collège, Vincent révise sa physique —difficilement — puis râle contre sa mère qui lui impose une crème nourrissante (qu'il trouve malodorante) pour sa longue chevelure.

Son neveu parti, Éric accompagne sa sœur chez sa belle-mère affrontant une pluie fine. Celle-ci, déjà apprêtée à petit-déjeuner, lance la discussion sur la fin de vie et surtout sur son défunt mari. Mal à l'aise sur le sujet, Lucie abrège la rencontre.

Prenant congé, Éric et Lucie commencent à descendre la rue. Soudain, la belle-mère appelle sa bru de sa fenêtre pour lui montrer une des peluches qu'elle a confectionné. Du bel ouvrage qu'elle arrive difficilement à vendre pour son association.

« Elle devrait réduire leurs tailles pour en faire des porte-clés ou des Straps ! », suggère Lucie.

Il est 10h30 et Éric bifurque — le parapluie rouge de sa sœur en main — vers l'arrêt de bus.

Il ferme les yeux à bord.

Zigzaguant dans la rue des Portes et celle du Commerce, il trouve la librairie "Ryst" et s’achète Ikkyu #2 d’Hisashi
Sakaguchi
pour 29 €. Le livre est encombrant et Éric se maudit de l’avoir pris aussi précipitamment.

Puis il marque un temps d’arrêt sur la place du Général de Gaulle. Le vertige le gagne et ses gestes sont saccadés... Il est plus éprouvé qu’il ne le pensait par ce rêve.

Marchant derechef sur la rue des Tribunaux, il suit les recommandations de sa sœur et se dirige vers la brasserie "Au Petit Parapluie" proche de la "Bibliothèque Jacques Prévert".

Installé à l’angle de deux murs cramoisis, il prend une fricassée de pintade et son écrasé de pommes de terre suivi d'une tarte aux griottes et pistaches (13 €) qu’il accompagne d'une eau plate. Sur sa serviette en papier — certifié fabriqué en France — le logotype d'un ballon de rugby bleu avec inscrit… "Rugby".

Sur la table d'en face, un couple de personnes âgées, se tenant la main par le bout des doigts, l’intrigue. La voix de l'homme trahit son âge car ses habits et son allure dénotent : tête chauve et boucles d'oreilles, tee-shirt rouge à logotype de raquette de tennis et bas de jogging noire à bandes blanche et liseré rouge. Il contraste avec l’allure de sa femme en simple petit jupe rouge à fleur, chemise blanche macramé et veste rose. Au pied de l'homme, un sac en toile bardé de têtes de chevaux.

Les vertiges ne passent pas.

« J’ai peut-être bu trop de sang », s’interroge Éric.

Un voisin de table, parlant de ses problèmes de tension, prend exemple sur le dessert qu’il finit de manger pour acter son choix.

Une marche digestive s’impose.

Une bonne partie du centre-ville est en chantier. De gros travaux sont effectués pour le "Bus Nouvelle Génération" (BNG) qui bouscule l'ensemble du réseau routier de Cherbourg.

Le crachin est si fin qu’Éric range son parapluie. Il passe par une impasse de la rue du Château s’avançant doucement vers la bibliothèque. L'unique porte qui trône sur ce passage est marquée du chiffre 13.

Deux hommes à l'allure marginale s'engueulent devant l’entrée de la bibliothèque sur une question d'argent :

« Tu me donnes envie de te casser la gueule ! »

Ils continuent leur dispute — pour une valeur de 8 € — à l'intérieur du bâtiment.

Au niveau -1, Éric consulte le manga d’horreur Le Chat Noir d’Hideshi Hino. Le silence est total pendant sa lecture.

Il monte ensuite au deuxième étage pour feuilleter un livre d'art sur Jean-François Millet. Il s'attarde très longtemps sur sa première femme Pauline Ono. Éric se voit attiré par la représentation d'une femme à la jeunesse figée à jamais par son regard amoureux.

« Tomberai-je de nouveau amoureux un jour ? » Il referme le livre brutalement.

Les affiches du cinéma "CGR Odéon" le racolent et il prend une place à 6,60 € au tarif demandeur d'emploi (pourquoi se priver d’une ristourne facile !) pour le film Le Règne Animal de Thomas Cailley.

La salle est petite et l’écran n’est pas mieux.

Une bande annonce Allô Ciné passe :

« Les films qui donnnent envie de vivre à New-York » (les trois "n" sont véridiques).

Le métrage ressemble plus à un téléfilm au budget conséquent. Un homme sort au bout d’une trentaine de minutes. Une dame interpelle son mari qui ronfle.

Lucie n’aurait pas tenu plus longtemps que le ronfleur. Éric, ayant songé à l’inviter pour regarder ce long-métrage, est soulagé d’avoir pu lui éviter cette déception.

Bêtement, il longe la Route des Salines et rate son bus. Il parvient après une très longue marche à l'arrêt le plus proche. Il rate de peu la professeure d'espagnol de Vincent (son neveu n’a pas cessé de vanter sa beauté).

Malgré le fait qu’elle soit peu satisfaite de sa journée de travail, Lucie trouve tout de même l’énergie de cuisiner. Courgettes, ail, oignons, gingembre, poulet, curry, un peu de raisins secs et de la sauce tomate pour colorer le tout et du lait de coco compose le plat de cette soirée qu’elle accompagne de riz comme de bien entendu (sa sœur lui précise que l'on peut remplacer la courgette par des pois chiches !)

Omar Sy gesticule dans la peau de Lupin dans un quatrième épisode. Le frère et la sœur fixent l’écran, concentrés, absorbant à petite gorgée leur tisane à la menthe fraîche. Les délices au caramel, eux, ont déjà disparu.

Péril en la demeure de Michel Deville finit d’assommer Lucie. Il ne reste alors qu’Éric, le visage impassible, juste éclairé par l’écran d’ordinateur.

 

Coût de cette journée : 48,60 € et un trop gros apport en fer.