Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Pascal Craveri - Auteur BD

Je suis auteur de BD, illustrateur et portraitiste. Edité chez MORRIGANE éditions sur 4 romans jeunesse. Auteur également de la série BD en 3 tomes "SUIS LE FLEUVE" chez YIL édition. Depuis 2010 je dessine mon fils tous les mois! :)

Le Coût d'une journée - Chapitre 3 : Le droit de souffler _ 12

Publié le 20 Mai 2024 par Pascal Craveri

On ne perçoit pas une once de lumière dans la chambre où loge notre protagoniste. C’est son dernier matin et il ouvre les yeux les bras levés, figés dans une position digne d’une scène des plus beaux étranglements du cinéma. Son rêve s'est estompé, le laissant sur un acte manqué. Une démangeaison le prend, un moustique l'a piqué sur la première phalange de son index droit.

8h30 : Lucie l'appelle doucement pour lui demander s’il veut se laver avant son neveu. Dans la douche, Éric arrive à calmer l’ardeur de son sexe turgescent ; mais que pouvait être ce rêve ? Juste après s’être séché avec sa serviette, il découvre sur son portable un message :

 

« Notre fils ne va pas bien, as-tu un moment pour qu’on puisse en parler ? Aude. »

 

Éric a un moment de blanc. Pas de ce blanc qui l’amène souvent à l’acte, mais le blanc de la confusion. Il baisse la tête, regardant son sexe désormais dans une position règlementaire. Il ne tarda pas à le gifler copieusement. La douleur infligée lui permit de remettre ses idées en place.

Comment avait-il été assez stupide pour avoir laissé ses coordonnés téléphonique à sa première femme ? Ou plutôt pourquoi n’avait-il pas subtilisé son portable pour supprimer son numéro ? Un oubli de sa part ? Bien sûr que non, plutôt un désir malsain de garder des liens ! Il se sentait plus qu’un imbécile. Une horrible merde.

Appuyé sur la porte de la salle de bain, Éric se mit à composer :

 

« Je ne suis pas disponible pour le moment, mais on peut se retrouver quelque part. Dimanche ? »

« Non, ce n’est pas possible. Je dois déposer une bougie sur la tombe de mon mari et ensuite aller voir mes beaux-parents. Oui, Philippe a pris la décision de nous quitter récemment… Mon fils… Ton fils… a besoin de voir quelqu’un qui lui ressemble. Je pense que tu peux bien lui faire cette faveur ? »

 

Il lui donne alors rendez-vous en milieu de semaine prochaine dans un lieu non encore défini.

Éric s'applique à défaire son lit et à plier ses draps et sa couverture. Le petit-déjeuner entamé, il descend ses bagages et les enfourne dans la Kangoo de sa sœur. La décision a été prise qu’il ne partirait pas de Cherbourg. Sa sœur veut encore profiter de sa présence et lui a proposé de finir son séjour en bonne compagnie dans le lieudit de Paul. Mais d’abord ils doivent déposer Vincent au Conservatoire pour une heure de cours.

10h30 : Sur la Route des Salines, ils passent juste devant un accident de la route ; la voiture est complètement défoncée à l'avant. Éric prend le temps de regarder les étincelles de la scie occupées à libérer un accès vers la victime. Lucie se rend soudain compte que Vincent s'est trompé de sac et, après un monologue sur son absence crasse d'organisation, décide de faire demi-tour pour aller le récupérer. Le deuxième passage devant la voiture accidentée permet à Éric de constater l’absence manifeste de survivant.

11h15 : Après avoir enfin déposé Vincent, Lucie propose à son frère de découvrir une boutique bien être qu’elle vient juste de découvrir. Celle-ci propose des savons et des soins du corps maison. La vue de son corps meurtri de cicatrices lui a forcément donné cette idée. Éric consent qu’elle lui offre deux savons, l'un au citron meringué et l'autre au lait de chèvre de Carne — parfait pour inciter Lucas à se laver le visage (14,50 €.)

Puis, pour marquer le coup, Éric propose d’offrir une bande dessinée à son neveu. À la librairie "Ryst" il porte son choix sur le premier volume de la série Nocéan de Ricard Efa (15,50 €). Lucie note le regard écarquillé de la libraire lorsque celle-ci prend acte des connaissances en bandes dessinées d’Éric.

12h30 : Le cours de Vincent terminé, ils le récupèrent prestement pour prendre la route qui les amènera chez Paul. Une conductrice, qui ne maîtrise pas la montée sur pente, les ralentit sur une longue durée. Vincent en profite pour commencer à lire la bd, il a l'air d'apprécier.

La pluie sur la route invite au silence. Le temps de digérer pour chacun cette semaine de rapprochement.

Alka leur fait une fête à leur arrivée. Paul en cuisine et Vincent jouant sur son piano électrique, Lucie essaye de récupérer des noisettes à terre : « Comment faire pour exploiter tout cela ? » se dit-elle le dos courbé.

Paul à préparer des pâtes aux saumons avec du poireau, des champignons qu’ils saupoudrent de gruyère. Le vin Bio "Blaye/Côtes de Bordeaux Nos Racines, Famille Raymond 2021", fut un mariage bienheureux.

Un moment de joie bref.

Il est 14h59 précise quand le train en direction de Caen quitte la gare de la petite ville normande emportant à son bord Éric. Le soleil est revenu. Il s'assoupit jusqu'à son arrivée à 15h54. Il doit attendre près de deux heures pour sa correspondance.

Une femme enceinte sort des toilettes de la gare raclant et avalant grassement ses glaires. Éric s’engouffre à sa suite évitant ainsi de payer pour avoir le droit de pisser. Les lumières desdites toilettes varient dans les tons bleus, verts et violets.

Il traverse ensuite le Skatepark de la rue d'Auge et, en prenant la rue de Vaucelles, s'arrête chez le disquaire "L'Œil du Sillon". Son choix se porte sur l’album Soil Festivities de Vangelis et sur trois albums de Mike Oldfield : Crises,
Discovery et Platinum le tout pour 40 €.

Aux abords du "Centre Commercial des Rives de l'Orne", Éric attend patiemment l'heure de départ de sa correspondance.

Le temps se couvre.

Il devrait s'acheter à manger mais il a un blocage. Le message d’Aude lui est resté en travers de la gorge.

Sur la place Pierre Sémard, le tableau d'affichage — voie D s’affiche enfin.

Il est 17h44, le train démarre. Éric pense que René Belletto est un compagnon de voyage tout à fait acceptable pour lui éviter de s’assoupir pendant ce trajet.

Il reçoit un mail du collège de son fils qu’il n'avait pas pris en compte : « Pour préparer un moment de concertation avec les élèves suite aux événements tragiques de vendredi, l'établissement sera fermé lundi de 8h à 10h. »

De même, la facture de cantine pour le premier trimestre lui est parvenue : 130,75 €. Sa deuxième femme lui remboursera la moitié comme d'habitude.

19h34 : La nuit tombe quand le train arrive à destination.

19h50 : Dans sa boîte aux lettres, des prospectus puis un courrier lui ordonnant de répondre à une enquête sur le Supplément de Loyer de Solidarité (?) et sur l’Occupation du Parc Social. Il le balance dans un coin.

20h10 : Après avoir vidé son sac, il fait une lessive sans se soucier du bruit que sa machine à laver fera sur l’humeur de ses voisins du dessous.

20h15 : Il laisse un message à Lucie pour lui dire qu’il ne restera pas un fantôme dans sa vie.

20h30 : Il finit d'enlever les vieilles étiquettes sur les vinyles qu’il vient d’acheter.

20h45 : Il finit de noter sur une base de données l’ensemble de ses dépenses en pays Normand.

22h15 : Il note d’un pouce vers le bas un film Netflix.

22h30 : Il cuit un peu de frites.

22h40 : Il se masturbe.

22h45 : Sa machine terminée, il étend son linge.

00h00 : Il éteint sa télé après avoir regardé l’émission "Blow up" d’Arte spécial pluie.

 

Coût de cette journée : 55,50 € et un souci en plus (tu parles de souffler...).