Un sauté de porc avec sa crème accompagné de haricots verts légèrement persillé et abondamment pourvu d’ail est déposé délicatement sur la table où est attablé notre protagoniste.
Devant lui, un couple se regarde du coin de l’œil appréciant goulument leurs plats ; on peut noter quelques gouttes oubliées sur le pourtour de leurs lèvres. Notre protagoniste a la désagréable impression de tenir la chandelle.
Il y a des abat-jour rouges au-dessus de chaque table d’une largeur ridiculement élevée. Notre protagoniste ne manque pas de s’y cogner à mesure qu’il baisse et relève la tête pour déguster son plat. Hélas, tous s’annulent en bouche. Est-il possible que son sens du goût ait disparu ?
Prétextant un rendez-vous urgent, il quitte ses convives en évitant soigneusement de se cogner aux abat-jour. Il descend une rue en pente, la nuit est d’un noir d’encre.
Il sent soudain un manque : dans la précipitation, il a oublié de récupérer son attaché-case ! Il accourt pour retourner dans le restaurant mais la gérante, toute essoufflée, vient à sa rencontre et la lui tend. Celle-ci ne le quitte pas et l’accompagne au bas de la rue.
Elle n’avait pas pris la peine de le rattraper uniquement pour lui rendre son bien, non : elle lui chuchote à l’oreille une missive qu’il ne comprend pas. Elle montre alors du doigt un jeune homme qui porte une pancarte autour du cou. Il a l’air aussi perdu que notre protagoniste. Le jeune homme à la pancarte est rejoint par un groupe qui l'entoure et qui semble vouloir l'agresser. Il les esquive puis s’avance dangereusement de notre protagoniste avec à sa suite une cohorte hostile. Le voilà emporté par La Foule d’Édith Piaf, qui le traîne, l’entraîne et l’écrase jusqu’à l’anéantissement.
Le récit onirique d’Éric est interrompu de justesse par la sonnerie du réveil de son fils. Il lui faut du temps pour reprendre son souffle, l’air d’Édith Piaf sifflant encore dans ses oreilles.
Lucas, heureusement, n’est pas témoin de ce moment de détresse et part pour ses cours en toute discrétion. Dans le salon, Éric constate qu'il a bien mangé un des deux croissants aux amandes qui restaient.
Il fait gris et il a plu cette nuit.
Habillé de son seul tee-shirt, Éric extirpe de ses étagères des DVD et des Blu-ray qu’il trouve soit dispensable ou complément assimilés :
Wall-E, The Machinist, Savages, Stretch, I want to go home, Solo - a Star Wars Story, Death Note 1 & 2 et les séries Watchmen et Twin Peaks.
Il fourre le tout dans un sac à dos et se dirige vers le centre-ville à pied. Le gérant de la librairie d’occasion de la rue Internationale lui prend l’ensemble pour une misère (40 €). Au détour d’un rayon, il croise Armel (« Pascale n’est pas avec lui, étrange », remarque Éric). Ils discutent ensemble du pourcentage de fréquentation des salles de cinéma.
Le diptyque de Yoshinobu Hoshino 2001 Nights Stories - Version d'origine est disponible ainsi que le dernier volume de Neon Genesis Evangelion - Perfect Edition de Yoshiyoki Sadamoto et Khara. Vingt-cinq euros lui sont rendus sur les deux billets de cinquante qu’il tend à la caissière de la "Fnac".
Assis dans un parc, occupé à regarder et apprécier la qualité de ses achats, Éric capte la conversation de deux dames face à lui. La plus âgée parle de sa fille et de ses difficultés à obtenir tous les mois un médicament qui coûte entre six milles et douze milles euros et qui lui permet de ralentir la progression de sa maladie. Heureusement tout est pris en charge par la Sécurité Sociale.
Après lui avoir déposé délicatement un baiser sur la joue, son interlocutrice lui dit d’un air soulagé : « Finalement il est bon de vivre en France ! »
De retour chez lui, Éric s’assomme en regardant le film muet Les Hommes le dimanche de Robert Siodmak et Edgar George Ulmer. Il n’eut pas le temps de réagir que s’enchaîna immédiatement Le Direktør de Lars von Trier.
Éric rit de l’absence de jeu de Jean-Marc Barr.
L’un de ses portables qu’il a laissé sur une de ses étagères, vibre bruyamment au point de faire tomber deux Blu-ray. C’est une conseillère qui l’informe qu’il a gagné des droits supplémentaires depuis sa dernière actualisation ; sa radiation en tant qu’auto-entrepreneur n’était pas une si mauvaise idée. Elle lui demande poliment qu’elle était la nature de son activité. Modulant sa voix au point de la rendre méconnaissable, Éric lui décrit avec émotions les raisons de sa décision d’arrêter cette aventure. Au bout du fil, son interlocutrice déglutit. Il sut alors que sa prestation était un succès.
« Vous avez le droit de souffler, Monsieur ! » Il l’entendit renifler après avoir raccroché.
Trois heures sont passées depuis que midi a sonné. Éric entame enfin son premier repas : mâche et gratin dauphinois.
Lucas rentre en trombe prenant à parti son père en lui affichant un devoir noté sous le nez :
« 12,5/20… Oui… Ben c’est pas mal pour cette matière… »
« Pas mal pour cette matière ! Pas mal pour cette matière !! Regarde ce qu’il a noté mon super prof d’Histoire-Géographie ! »
Éric lut l’appréciation du professeur. En effet, celui-ci lui fait le reproche (en rouge) de devoir à chaque fois décrypter son écriture et c’est pour cette raison que sa note a été abaissée.
Éric donne raison au professeur et suggère à Lucas quelques exercices d’écriture. Il est temps de lui apprendre quelques rouages de ce bel art qu’est le métier de faussaire !
Prenant une feuille de papier imprimante, Éric réécrit le texte de son fils en utilisant plusieurs styles d’écriture. Patiemment, il modifie les pleins et les déliés, mettant plus de force sur le trait final d’un "t" ou encore utilisant un "a" au lieu d’un "a".
« Tu sais quand je travaillais au service des fraudes bancaires, je devais vérifier tout autant le numéro de compte d’un client que sa graphie. »
« Et tu as eu des cas particuliers ? »
« Oh oui ! J’avais tout loisir si je le voulais de changer l’ordre d’un chèque tu sais ! Mais j’ai eu la surprise de trouver un jour un chèque parfaitement rédigé… mais au crayon papier ! »
« Oh ! Tu n’en as pas profité ? »
« J’aurai pu, j’aurai pu… Mais l’ordre était pour un couvent… »
Lucas lui enserre le cou.
Prenant soudain en otage la télécommande, Lucas va sur une chaîne YouTube regarder le résumé du film A Silent Voice de Naoko Yamada tiré du manga de Yoshitoki Ōima. Éric ne comprend pas cette manie de regarder des résumés de films.
Il récupère des mains la télécommande en faisant un croche-patte à son fils et en maîtrisant sa chute. On aurait dit le ralenti d’un film de kung-fu.
Redevenu maître en son royaume, Éric continue avec Lars von Trier.
Dogman d’abord. Le film est difficile à déchiffrer au départ pour devenir de plus en plus passionnant et d'une douce cruauté. Il poursuit avec Manderlay sa suite directe. Le film est dans une pénombre constante et il décroche.
Éric fait cuire deux pizzas au chorizo (qu’il a achetées avant de rentrer avec en plus un pot de pâte à tartiner aux noisettes bio (4,91 €)) avec une petite salade. La puissance du chorizo leur brûle la gorge.
Laissant agoniser son fils dans la salle de bain, Éric continue avec Lars von Trier en regardant The Element of Crime, son premier long métrage. C’est un voyage dans le subconscient du protagoniste, un policier sous hypnose, se rappelant une affaire sordide de tueur en série qui l'a poussé à s'expatrier au Caire. La réalité n'est plus discernable, on est plongé dans un cauchemar poisseux. Ne serait-il pas lui-même le tueur ?
Le film lui parle... un peu trop.
Coût de cette journée : 79,91 € et une leçon d’écriture.