Dans son enfance, Éric avait possédé un cochon d’Inde nommé Roxy. Ce fut sa seule expérience de vie sociale avec un animal. Il lui revient en mémoire une de ses tantes, décalottant devant lui, le lapin dont il s’était pris d’affection. Fasciné, il fut attentif à toutes les étapes de la préparation du plat qu’elle appelait "Lapin sauce poulette".
D’abord elle faisait cuire le lapin avec un oignon piqué avec deux clous de girofle qu’elle faisait bouillir ensuite avec du poireau. Elle faisait revenir ensuite du beurre et de la farine qu’elle mélangeait avec un demi litre d’eau bouillante et un cube de bouillon de poulet. Le jaune d’œuf cassé était la touche finale de la préparation. Elle versait ainsi cette fameuse sauce poulette sur le lapin tout juste cuit.
Ce jour-là il reprit du rab, mais un peu moins de riz et de haricot vert.
Aujourd’hui, à défaut de les manger, il devait cohabiter avec les animaux de sa sœur.
Son allergie aux poils de chat se réveilla dans la nuit et il dû se mettre du sérum physiologique dans les yeux.
Ce désagrément ne l’avait pas empêché de conté au petit matin son rêve de la nuit à Myriam :
« J'ai fait le songe d'une chèvre qui logeait chez toi comme animal de compagnie ; pas dans ta maison, hein ! Mais dans ton ancien appartement. Elle était libre de tout mouvement. Elle s’était dirigée vers ta chambre pour sauter par la fenêtre. Dehors il y avait des hautes herbes à manger. Puis, une de ses congénères entra sans autorisation et déféqua directement sur ton lit. Tu étais agenouillée, en pleurs, devant l’ampleur de la catastrophe. C'est quand j'allais m'apprêter à t’aider à tout nettoyer que la gêne dans mes yeux m’a réveillé. »
D'après sa sœur aînée, une chèvre (blanche pour Éric) serait signe de bon présage.
Tout en avalant de la brioche avec de la pâte à tartiner, Myriam ne put s’empêcher de remettre sur le couvert le comportement énervé de son petit frère suite aux questions sur son travail que lui posait son beauf hier. Éric l’avait éludé en vidant son verre d’alcool. Le silence pesant qui suivit le força à changer de conversation.
Notre protagoniste est motivé aujourd’hui pour rendre hommage à son père. Il passe à côté de son beauf occupé à réparer le mur adjacent à son garage. Il ne ressent pas le besoin de le saluer.
Il lit le nom, la date de naissance et de décès sur la tombe parfaitement fleurie de son géniteur. À ce moment-là un chat tigré passe et le fixe longuement.
« Tiens ! Salut Papa ! »
Éric arrange une des plantes puis parle doucement à la pierre tombale.
Il se force.
Il se sent ridicule.
C’est dans ses gestes du quotidien qu’il ressent le plus la présence de son père.
Une dame, plutôt froide d’aspect, caresse une pierre tombale juste à côté dont ne subsistent que les prénoms. Des personnes âgées arrosent des plantes ou discutent entre les allées. Éric entend un pet.
Il s’assoit sur un banc un peu plus loin, profitant du soleil pendant que midi sonne à la cloche de l'église. En partant, il marque les gestes de politesses d’usages aux personnes âgées encore présentes… qui ne le lui rendent pas. Sur son chemin, des glands craquent sous ses pas. Le bruit est similaire aux os qu’il aurait eu le plaisir de briser sur cette bande de vieux débris.
Il retrouve ses sœurs en haut des escaliers en train de discuter de soin et de bien-être. Elles sont occupées à se maquiller. La presbytie de Lucie est telle qu’elle dérape. Un juron lui échappe :
« Cela ne te tente pas un massage californien ? » lui lance Myriam.
« Bof… On pourrait offrir ça à maman, non… »
« T’en penses quoi petit frère ? » Le reflet dans le miroir avait trahi sa présence. Éric lève le pouce droit en l’air.
Il est temps d’aller chercher leur mère pour aller manger au restaurant. Éric est un peu inquiet ; un épisode récent avait gâché leur dernier repas.
La carte du restaurant est intéressante. Il prend un Spritz Breton en cocktail (6,70 €) et en plat un crumble de poulet (parmesan, courgettes, tomates fraîches, pesto rosso, 28 €) accompagné d'une salade.
Éric se réfugie dans la mastication de sa salade à chaque fois que ses sœurs lui posent des questions sur ses activités futures. Puis il prend une très bonne tarte aux citrons meringuées (7,50 €) qu’il partage un peu avec sa mère.
Myriam reçoit un message de son mari lui demandant d’acheter des cigarettes. Ce besoin de nicotine manque de provoquer un accident. En effet, sur la route menant au bureau de tabac, un rond-point au marquage totalement effacé perturbe la conduite de Lucie qui coupe le passage d'une conductrice qui l'a klaxonnée promptement.
Myriam ne lui prend qu’un paquet.
Lucie reçoit une notification sur son portable. Éric lut à haute voix : « Le Hamas est entré dans le territoire israélien et a fait quarante morts et plus de sept cent blessés, le modus operandi est inédit selon des sources militaires. »
« Nous sommes si loin de tout ça », soupire leur mère en regardant le paysage.
Myriam prend la tangente pour partir en concert avec des amies en laissant Lucie et Éric au passage. Ils doivent de toute façon dormir chez leur mère pour partir dès le lendemain pour la Normandie.
Le temps passe.
Le temps aussi pour que le bœuf bourguignon de leur mère mijote tranquillement.
Accompagné d’haricots rouges, d'avocat et d'igname le repas fut plus qu'excellent. Le piment, brûlant leur bouche, fut bienvenu. Apaisé par plusieurs doses de petit punch, le repas se termine par un café au goût discutable :
« Du café Grand-mère, je me disais bien aussi… » Lucie prend l'initiative de refaire une cafetière avec le café qu’elle est allé acheter en ville chez une torréfactrice à l’amabilité limitée.
Puis elle fait la vaisselle.
Les mains jointes sur son canapé, la mère regarde une série française sur France 3.
Éric, lui, récupère dans sa bibliothèque Le temps mort de René Belletto. Un livre de nouvelles SF qu’il n'avait pas voulu lire au temps où son professeur de français de l'époque avait imposé sa lecture du fait que le romancier était un de ses anciens camarades de classe.
Il se rattrape, trente ans plus tard.
« Ce professeur n’avait pas démissionné après avoir dégringolé des escaliers de ton lycée ? » l’interroge Lucie.
En tout cas, cette fois-ci, ce n’était pas de sa faute.
Coût de cette journée : 42,20 € et un doute...