Eric remet les doigts de sa main droite en place, une nouvelle fois figés par une nuit aux rêves des plus réalistes.
Attiré par l’un de ses portables qui détonne sur son canapé d’un blanc immaculé, il constate qu’il a reçu un appel en abscence. C'était son fils. L’appel date d’il y a seulement trente-cinq minutes. Il est soulagé d’apprendre que la raison de cet appel ne concernait qu’une suspicion d’entorse ; son fils lui expliquant qu’il avait pris l’initiative de ne pas aller en cours de sport. Lucas a le chic pour se substituer à l’autorité de sa mère. Une fierté paternelle décoche un sourire — qui s’apparenterait plus à un rictus — sur le visage d’Eric.
En sourdine et dans une langue qui lui est inconnue s'égosille une de ses voisines.
Les pains aux chocolats de la veille s’ajoutent à son rituel.
Toujours pas de réponse de son créditeur. Il leur enjoint la possibilité d’une pénalité s’il n’a pas immédiatement son document. Il gage que, en connaissant sa personnalité, leur réaction sera plus vive !
C'est le dernier discours officiel de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Eric doute de la candeur de celle-ci à laisser sa place : le pouvoir reste une drogue.
Le temps est aléatoire, virant de l’éclairci à l’averse. Il n'y a pas de jour visible pour l’instant.
Eric reçoit une nouvelle fois un appel de son fils : la grand-mère de celui-ci lui demande de prendre rendez-vous chez un médecin pour qu'il puisse avoir un certificat pour ne pas faire de sport. Le problème c'est que Lucas est en ce moment chez sa mère. Pourquoi doit-il faire cette démarche ? Cette idée de cultiver la paix des ménages commence à le lasser. Sentant un silence des plus long au bout du combiné, Lucas n’insiste pas et applique un repli stratégique : il pense bien !
Eric tourne et vire dans son appartement tel un animal en cage.
Il prend une banane et sors pour son rendez-vous de kiné. Il fait beau et frais désormais et le soleil commence à chauffer. Aujourd'hui c'est le traitement musculaire et dans deux jours le traitement inflammatoire. Eric se dit que des outils plus ergonomiques lui auraient évité de perdre son temps en séance. Mais bon, l’endroit étant public et majoritairement peuplé de personnes grabataires, il ne risquait pas de mauvaise rencontre pendant le lapse de temps où on le soignait.
Il se prépare un événement sur la place des Rocailles. Des équipes s'attèlent sous une pluie soudaine vite rattrapée par un soleil accablant.
Au bout d’un trajet indéterminé, il s’achète deux boomers fraise myrtille, un Paris-Brest, quatre pains au chocolat et du gel douche (10,19 €.) À quoi bon acheter autant de cochonneries ? Faute est de constater que les goûts s’annulent dans sa bouche. À l'arrêt du bus, une plante grimpante asséchée sur le mur du centre commercial anonyme dessine devant lui un arbre comme fossilisé.
Un quidam, cigarette en main, l'aborde pour lui demander 1 € : fin de non-recevoir. Un enfant allait traverser la voie de tram. Eric le bloque. Pas de reconnaissance particulière, même pas de sa mère.
Au hasard d’une rue, il croise Pascale et Armel. Son histoire avec Pascale fut d’une erreur monumentale. Souvent il s’était posé la question de régler définitivement ce problème, mais l’histoire récente qu’elle vit avec Armel a su éteindre un conflit qui aurait pu finir de manière funeste. Elle l'élude vite et il reste à discuter un peu avec son compagnon.
En allant saluer Bernie (le disquaire et libraire d’occasion de la rue International) il y dégote pour 6 € l’album vinyle Tubular Bells de Mike Oldfield.
Il y a foule de lycéens quand il prend le bus qui le ramène dans son quartier. À sa descente du bus, il y a des richesses à voir car, à ses pieds, des billes jonchent le sol. Puis un homme y crache. Au loin, un autre assis sur un banc impose sa musique.
Aux abords de son immeuble, trois très jeunes enfants courent joyeusement sous le soleil implacable. Une forte odeur de vomis plane dans les escaliers.
L’ultimatum de ce matin à produit son effet : le montant détaillé de son crédit lui a été enfin envoyé ! Il récupère la pièce jointe avant qu’elle ne s’efface et l’enregistre sur un disque dur externe qu’il cache habituellement à l’intérieur d’une console de jeu.
Il est 15h quand il se décide à manger. Aux infos, l’horreur ordinaire lui passe par dessus. Près de trois mille morts au Maroc et encore pire en Libye à cause de la tempête "Daniel". Il éteint tout et continue sa lecture de Maxi Plotte.
Il écoute le vinyle. Sa tête de lecture prend trop la poussière ; il y a de toute façon trop de poussière ambiante dans cet appartement.
Il met en route le film Chanson douce de Lucie Borleteau. Le malaise dont on lui avait fait tant la promotion ne lui semble pas justifié. Le métier l’insensibilise, c’est certain.
Entre-temps il reçoit des messages de Ka-L (une collègue) qui vient prendre de ses nouvelles. Sa dernière vacation n’a pas l’air de s’être bien passée. Elle lui racontera plus tard à l'occasion.
Une pizza aux légumes accompagnée d’un verre de jus de gingembre lui fera office de dîner pour ce soir.
Le travail harassant des mineurs bosniaques (Les Oudarniks) et la transformation d'un ouvrier modèle en produit de propagande est le sujet du film de Bahrudin Čengić, Life of a Shock Force Worker, qu’Eric scrute avec attention.
« Je me demande bien quel genre de mission a pu perturber à ce point Ka-L », s’interrogea-t-il.
Coût de cette journée : 16,19 €.