5h du matin, l’atmosphère est lourde dans la chambre d’Eric. Quelques mouvements rapides pour échauffer son corps puis il prend une douche rapide. C’est tout en restant nu qu’il exécute son rituel médicamenteux.
Dans un peu plus d'une heure il va prendre le train en direction d'Angers. Quant à son fils, il doit se lever dans une heure pour être prêt lorsque son oncle ira le chercher pour aller à leur "Grand Prix".
Chacun son programme.
Eric allume l'horloge du salon et, tout en prenant son café, continue la lecture du manga qu’il s’était acheté hier. Jambes croisées et couilles à l’air, ses vêtements sont parfaitement pliés sur le canapé et prêts à être portés.
En allant en direction du tramway, il croise une dame noire, à la corpulence avérée, au milieu de la route avec sa trottinette. Elle lui demande où se trouve la maison de retraite "La Quiétude". Eric lui indique la voie et file.
« Qu'elle idiote de marcher sur la route en pleine nuit », jugea-t-il. Il ne chercha pas à en savoir plus. Pourquoi faire un repérage de nuit d’abord ? Un contrat ? S’étant déjà fixé un but pour la journée, Eric ne voulait pas analyser ce cas pourtant si proche de son lieu d’habitation.
Il est impressionnant de voir autant de monde dans le tramway à 6h30 du matin. Le "Grand Prix" y est forcément pour quelque chose.
Eric a eu la présence d’esprit de prendre un livre pour l’accompagner dans son voyage. Le dernier roman d’Amélie Nothomb fera l’affaire. Son train en direction du Croisic va le transporter jusqu’à la gare d’Angers Maître-École ; une première pour lui.
Commençant sa lecture, il lève la tête et son regard le porte sur une jeune fille assise sur un strapontin qui pianote sur son portable... en larmes. Son visage passe par toutes les expressions possibles. Un bien beau sujet d’étude pour arracher Eric de son livre un temps.
Arrivé à Étriché-Châteauneuf, Eric ferme les yeux pour les rouvrir en sursaut au Vieux Briollay.
À sa fenêtre, il regarde le brouillard ambiant. « Il va faire chaud encore aujourd'hui. » Il y a des montgolfières dans le ciel lorsqu’on vient contrôler son billet.
Une passerelle verte pastel surplombe la gare microscopique d’Angers Maître-École. En longeant les rames, il suit un jeune groupe avec à sa tête un garçon qui porte un tee-shirt de la même couleur que la passerelle. Au loin, encore une montgolfière. La longue Avenue et Square Jeanne d'Arc le dirige doucement vers le centre-ville. Cette montgolfière rouge semble comme une goutte de sang inversée, un point fixe dans le bleu du ciel. Eric la suit du regard tout en marchant en ligne droite. Dans sa tête joue le premier mouvement de Soil Festivities de Vangelis.
Dans le Jardin du Mail, le marché s’ouvrant, il achète une petite boîte de framboise (3,90 €) qu’il mange en chemin.
En s'asseyant sur la place du Ralliement, Eric constate que le "1902" est toujours là. Il y avait fait il y a plusieurs années un inventaire pour sa première visite dans cette ville. Dans le cadre de son travail, il était vital d’avoir un alibi qui corrobore son planning à son avantage.
Des transats en bois sont installés à côté et Eric en profite pour continuer son livre.
Une installation scénique est en train de se monter face au théâtre de la place, il espère juste que dans la journée les artistes qui s'y produiront seront dans son ombre portée.
Allant çà-et-là au gré des rues qu’il traverse, Eric s'arrête devant la "Médiathèque Toussaint". « J’ai un petit coup de mou, les framboises ne m’ont pas suffi... » À une boulangerie, il achète un pain Choc'orange et un croissant (2,65 €). Un semblant d’énergie le traverse face au "Château d'Angers".
Sa mâchoire lui faisant mal, Eric ne prend aucun plaisir en mangeant son croissant. « J'ai encore des traces de framboise sur les ongles. » Pourquoi tout lui faisait penser à son travail ?
Il y a une foule de retraités devant le pont-levis du château. Le panorama tout proche lui permet d’admirer La Maine.
« J'ai envie de revoir "La Tapisserie de l'Apocalypse" que je n'ai vue qu'une fois avec Lucas », Eric se met alors au milieu du pont-levis. Le nombre conséquent de badauds le fait légèrement tanguer. « Voilà pourquoi je redoute autant les missions en hauteur », se dit-il.
Un homme monopolise tout un guichet pour l’achat groupé de cinquante billets et audio-guides. Eric se met à ruminer : « Je ne me souviens pas d'une telle organisation pour accéder à la billetterie ! » Finalement il obtient son sésame : « 9,50 € ! Diantre ! »
Une installation contemporaine au sein du château le laisse indifférent. 10h30 sonne à la cloche quand il monte sur les remparts. Le chant des oiseaux l’accompagne. Deux femmes obèses, l'une bleue et l'autre magenta, lui bloquent la descente pendant le survol d'un ballon météo. Celle en bleue est érudite sur l'histoire du château, il l'écoute attentivement.
Arrivé dans la salle dédiée à la Tapisserie, Eric se voit étrangement perturbé par le bruit sourd des audio-guides. La Tapisserie reste impressionnante comme à son souvenir mais sa première visite était bien plus agréable en présence de son fils qui, ce jour-là, fut respectueux du lieu malgré son jeune âge. Trente minutes plus tard, il quitte le château.
« J'ai envie de manger un sandwich thaï. » Il trouve son bonheur à proximité du Château avec un Saïgon et un thé noir citron jaune Hongkong (9,85 € moins 1,50 € car la vendeuse lui a rendu cette monnaie au lieu des 0,15 € qu’il aurait dû recevoir. Ne jamais bouder de petites économies !)
Face à lui, au bar de "La Grappe d'Or", des supporters de rugby (c'est en ce moment la coupe du monde en France) chantent une chanson douce en rythme avec sa mastication. Juste à côté se trouve la boutique d'occasion CD-BD (véridique !) où il trouve le vinyle Earth de Vangelis (8 €).
Au loin les supporters en joie chantent La Marseillaise.
La bouteille d’un litre d'eau Mont Roucous qu’il vient de s’acheter au "Monoprix" (0,59 €.) est providentiel : La chaleur devient étouffante. Se réfugiant à l’intérieur de la "Fnac" d’Angers à la fraîcheur bienvenue, il trouve exceptionnellement l'album vinyle Selected ambient Works 85 - 92 d’Aphex Twin (22 €).
« J'hésite, j'hésite... » Eric a une fringale d’achat ; sa sono laisse pourtant à désirer. Finalement il pousse le rideau d’un disquaire où une forte odeur d'humidité envahit ses narines, pour acquérir Cheetah EP d’Aphex Twin (22 €). En sortant, il croise un homme décollant délicatement un sticker d'un tuyau d'évacuation d'eau.
L’heure tourne. "La Médiathèque Toussaint" lui permet de rester au frais en attendant de reprendre le train. Le titre du film Lulu femme nue de Sólveig Anspach lui disait bien quelque chose. Il trouve au hasard des rayons la bd du même nom d’Étienne Davodeau et en lit les quarante-sept premières pages.
Se rapprochant maintenant de la gare, il trouve sur son chemin un mendiant parlant tout seul dans sa langue natale ; lui succède trois autres plus ou moins anéantis par la chaleur. Un père, attablé à une terrasse, désaltère son enfant qui geint torse nu.
Une jeune femme en robe rouge moulant joue une partition de piano dans la gare. S'ensuit une discussion avec une autre jeune fille en jean et tee-shirt moulant court bleu et un homme plus âgé sur sa prestation hésitante mais maîtrisée.
Dans ses notifications, Eric est informé qu'un tremblement de terre a frappé la région du Sud-Ouest de Marrakech au Maroc. Des milliers de morts sont dénombrés pour l'instant. Pendant ce temps la jeune fille au tee-shirt joue une partition classique vite rejointe par l’autre fille.
« On assiste à un vrai cours ! » Le Maroc est vite éludé.
Le thermomètre monte à 37°C. « J'espère que mon fils va bien », s’inquiéta à raison Eric.
En levant la tête, les arbres suspendus dans le hall de la gare le surprennent agréablement : « Je n’y avais jamais fait attention ! »
Un jeune couple s'enlace courageusement à côté de lui. « Est-ce que des corps suaves, s’amuse-t-il à penser, peuvent amener un peu de fraîcheur ? » La jeune fille ne doit pas avoir plus de 18 ans et porte un appareil dentaire (« il y a de l'espoir pour mon fils », se dit-il), elle porte le même sac qu’Eric mais de couleur bleu avec en effigie un soleil où il est marqué : "Un vrai bonheur !"
Dans le train, une famille pose ses gros sabots, un jeune homme met à fond le son de son portable pour regarder une vidéo. Eric n’insiste pas et préfère descendre d’un niveau pour gagner assez de quiétude pour continuer la lecture de son roman.
Il ne lui reste que dix pages à lire quand il arrive dans sa ville. À l'intérieur du tramway, c'est la valse des odeurs. Une jeune fille assise à côté de lui est en mode canapé en pleine discussion essentielle avec sa copine, s'ensuit une petite vidéo YouTube. Le spectacle est gratuit.
Chez lui et à nouveau nu, Eric ouvre ses achats. Il écoute en premier Earth, parfait ! « Mais quelle idée ont les gens d'étiqueter tout ce qu'il possède ! » Un "Denis quelque chose" parasite la pochette du vinyle. Un coton-tige et un peu d'alcool feront l’affaire.
Eric finit de lire Psychopompe. Beaucoup le renvoie à la relation avec son père. Il ne sait plus s’il lui a déjà dit « je t'aime » et ne se souvient plus si son père le lui a déjà dit. En tout cas, devant son corps, il lui a demandé la permission de le dessiner. Un moment de grâce s’est alors produit avec comme seul dialogue le bruit du frottement du stylo à bille sur un petit bout de papier. Bien plus tard, à la discrétion d’une des connaissances de son père, une photo de son gisant lui avait été demandée. Mais ni son portable ni celui du commanditaire ne se déclenchèrent ! Le malaise passé, Eric fut soulagé d’avoir eu de son père cet ultime cadeau.
Coût de cette journée : 76,99 € et revoir un portrait.