Eric fait un rêve très doux. Assis dans un parc, il partageait un cookie avec une jeune fille. Leurs regards étaient figés et leurs gestes étaient suspendus. Dans l’instant, le baiser fut fougueux. À son réveil, il sentait encore le goût de la salive, sucrée. Pascale lui revient en mémoire. C'était une période étrange.
On parle d'orgasmes ce matin dans l'émission "Grand Bien vous fasse".
C'est un temps de pluie ce matin. Q-thin a failli rester bloqué dans le tram à cause de sa mauvaise habitude de s'y endormir. Eric reste tout de même méfiant.
Nous retrouvons notre protagoniste assis sur son poste de travail. Son désintérêt était stratosphérique. Sous ses yeux passaient les pièces qu’il devait préparer pour ses collègues en bout de chaîne et qui leur fournira la matière pour le reste de la journée. Maniant de plus en plus difficilement le ciseau, il découpait soigneusement les tissus qui enveloppaient les pièces donnant ainsi à voir un produit brut que ses chers collègues travaillaient en suivant un mode opératoire dont ils se plaignaient quotidiennement du manque de mise à jour.
« C-riq ! Bordel ! T’as encore oublié ça ! » Eric manqua de se couper en entendant son collègue en milieu de chaîne agiter une chaussette.
L’attribution de Code-nom à l’ensemble de l’équipe contribue à un anonymat circonstanciel. Autant leur donner un numéro de matricule…
Ka-L passa à ce moment-là subrepticement derrière Eric :
« Nous suivons un mode opératoire qui annihile notre autonomie. C’est une insulte à notre intelligence ! Chaque étape doit être validée, chaque pièce doit être comptabilisée… Cela me saoule ! Et nous n’avons aucune visibilité sur la finalité de notre travail ! »
Eric, sans lever la tête, lui répondit :
« Créer une cohésion de groupe est illusoire. Notre corps de métier ne nous le permet pas. C’est un vœu pieu de notre Pourvoyeur. Une expérience, en soit, louable de sa part. Mais sa politique est vouée à l’échec ! »
« Je vois que tu n’as pas envie de discuter » s’offusque Ka-L.
Eric s’était déjà fait une opinion d’elle. Quand elle le ramenait à l’occasion en voiture, leurs discussions viraient inexorablement sur ces compétences qui n’étaient pas exploitées à leur juste valeur. Eric hochait alors la tête en cadence, espérant qu’elle lui lache rapidement la bride pour qu’il puisse parcourir le long chemin qui le sépare de son quartier (il n’était pas stupide au point de lui indiqué réellement son lieu d’habitation).
Mais bon. Elle était agréable à regarder.
Ne voulant pas perdre son chauffeur, Eric dirigea la conversation sur cette fameuse vacation dont-elle lui avait parlé et qui se serait mal passée.
Ce n’est pas en soit la mission qui fut désagréable (elle fut bien rémunérée) mais le lieu où elle fut assignée pour exécuter cette tâche : un hôtel 4 étoiles qui n'avait d'étoiles que sa devanture. Le jacuzzi était infesté de cafards, le personnel était méprisant car son anglais était scolaire (« C’est ça de viser à l’international sans aucune maîtrise » songea Eric) et, voulant profiter de la piscine, elle avait chopé une bactérie au pied…
« Il y a matière à porter plainte même si cela s’est passé en Croatie. » essaya de compatir Eric.
Soudain un court-circuit impressionnant survient sur une des lignes de production. Six-to, un des collègues qui a quelques responsabilités, rédige alors un rapport sur cet incident. Mais en lisant le brouillon qu'il était en train de rédiger, certains collègues ne purent s’empêcher de glousser en dénombrant le nombre impressionnant de fautes à la ligne.
Le silence de Six-to était manifeste. Eric le regarda d’un air grave : « Une cocotte-minute dont la soupape ne tiendra pas longtemps. »
Ka-L a une réunion importante qui fixera ses responsabilités dans l'entreprise. Peut-être un rapprochement possible avec le Pourvoyeur. Eric ne pouvait avoir que des suppositions. Il savait que la jeune femme ne voulait pas quitter ce travail ; elle lui avait bien assez rabaché qu’à 30 ans passés il lui fallait une vraie stabilité. « Elle plaisante ? » s’était-il dit.
« Nous avons eu un bel échange.» C’est avec cette phrase bateau que la psychologue d’Eric conclua la séance du jour. À la sortie du centre médico-social, Eric poussa un soupir des plus longs.
De retour dans son conaps, Eric espérait flâner sur sa télé quand celle-ci s'éteignit brusquement ! C'était une coupure générale d'électricité. Il se rabat alors sur la lecture de l'anthologie Sex & Fury de Bonten Tarō puis s'assoupit. À son réveil au bout de deux heures l'électricité revient.
Il ouvrit son réfrigérateur. Lucas n'avait pas mangé en entier le plat industriel qu’il lui avait acheté hier. Eric le porta en bouche : c’était mauvais !
Coût de cette journée : Un plat à la poubelle.