Le Coût d'une journée - Chapitre 2 : Sans éclat _ 6

Notre protagoniste, occupé à beurrer ses grillés Pelletiers, ne peut s’empêcher de songer aux paroles implacable de Ka-L au sujet du départ précipité de Da-A (hier, il a eu la présence d’esprit de filer en douce lors de la pause déjeuner) :

« C’était l’occasion rêvée de se débarrasser de sa femme ! »

« Il croit vraiment qu’on va le laisser avoir sa petite vie tranquille à s’occuper d’elle et à torcher ses chiards ? »

« C’est un homme mort. »

Il ne l’avait jamais vue aussi virulente.

Ka-L est une tactile : toucher d’épaules, mains baladeuses… À force, Eric n’y prêtait plus attention. Quand il fut témoin de son toucher délicat sur l’attribut fort bombé de Da-A lors d’un échange d’outils, il crut à un geste amical de plus de sa part (il lui arrivait de croire que, de sa main, elle cherchait son fondement). Il est clair que leur relation relevait d’aucune ambiguïté.

« Si elle prend encore du galon, je ne serai pas étonné qu’elle prenne l’initiative de résoudre le problème Da-A… et sa famille. » Puis Eric trempe ses grillés Pelletiers dans son café.

C'est un temps qui semble pluvieux qui l'accueille pour son dernier jour dans cette Usine. Il abandonne l'idée de faire des courses ce matin.

Trois courts-métrages de Wes Anderson tirés de nouvelles plutôt glaçante de Roald Dahl se portent à son regard ; cela lui fera passer le temps avant de prendre sa douche :

La Merveilleuse histoire de Henry Sugar.

Le Cygne.

Le Preneur de Rats.

Tout cela lui donne faim. Affrontant la pluie, il se dirige vers le "Burger King" et prend un menu King Deal double Cheese avec supplément (6,30 €). Verdict : mauvais.

Face au Fast food, une affiche avec Ramzy Bedia et Éric Judor vantent un duo de burger doux et épicé Quick. Leurs têtes accolées suggèrent une amitié amoureuse.

Éric fixe longuement l’affiche, puis prend le chemin de l’arrêt de tram.

Dans les transports, un enfant met le portable de sa mère dans sa bouche. On aurait dit un joueur d’harmonica. Réaction inerte de la mère sur la prestation de son enfant. Puis il fait tomber sa gourde dont l’eau dégouline sur tout le long du tram. Éric suit du regard son parcours.

L'Audit c'est mal passé. Un défaut d'archivage imputé à l’amateurisme d’une partie de l’équipe les a fait tiquer en plus de l’incident d'hier. L’absence d’Ena-l était notable.

Éric prend une pause et profite de la fraîcheur bienvenue. C'est une belle pleine lune ce soir.

Il n’est pas encore temps de penser à l’après.

Cloisonné entre quatre murs, chargé pour ce dernier jour de remplir de la paperasse, il n’eut pas l’occasion de faire un tour dans l’atelier pour imprimer un peu plus dans sa mémoire les visages de ses collègues.

C’est pourtant à lui qu’on a donné la responsabilité de fermer la boutique. Accompagné de Ka-L (qui a gagné en responsabilité) de Q-thin et de Gé-ry, c’est en fil indienne qu’il voit partir son équipe.

C’est devant un "Burger King" (oui… encore…) qu’ils décident d’un dernier repas ensemble. Éric prend un menu Cantal et un menu Whopper (24,70 €) qu’il mettra au réfrigérateur pour que Lucas puisse le manger demain soir.

« Tu t’en gardes pour plus tard ! Maliiin ! » lui lance Q-thin. Éric ne relève pas.

Soudain, il sentit une vibration dans la poche de son pantalon. C’était son petit Samsung Galaxy première génération qui ne lui sert qu’à recevoir les informations de sa banque : son solde de tout compte lui avait bien été versé.

Ka-L, Q-thin et Gé-ry doivent être témoins de la destruction de sa carte d’accès à l’Usine. C’est à chacun qu’il tend les trois morceaux qu’il vient de découper, tel Jésus rompant l’hostie et le donnant à ses disciples. L’ambiance est solennelle.

Puis chacun part de son côté en silence.

Les sorties sans éclat sont les meilleures.

Coût de cette journée : 31 € et une Eucharistie.