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Pascal Craveri - Auteur BD

Je suis auteur de BD, illustrateur et portraitiste. Edité chez MORRIGANE éditions sur 4 romans jeunesse. Auteur également de la série BD en 3 tomes "SUIS LE FLEUVE" chez YIL édition. Depuis 2010 je dessine mon fils tous les mois! :)

Le Coût d'une journée - Chapitre 3 : Le droit de souffler _ 2

Publié le 30 Avril 2024 par Pascal Craveri

Éric était caché dans une salle annexe d'un grand opéra où un orchestre interprétait la chanson Jóga de Björk. Des envolées lyriques puissantes parcouraient son échine, les larmes lui coulaient. Il n'avait clairement pas le droit d'être ici.

C’est à ce moment-là que le réveil de Lucas sonne.

Éric ne bouge pas de son lit et écoute son fils s’activer pour aller au collège. Le bruit discret du cliquetis de la porte d’entrée se refermant marque le top départ de sa journée.

Les cheveux encore mouillés, Éric sort nu de sa salle de bain et s’assoit sur une des chaises de son salon. Il reste dans l’obscurité, songeur. Il consulte l’un de ses portables et compose un numéro. Une conseillère décroche au bout du fil : « Oui, nous avons bien pris en compte votre radiation en tant qu’auto-entrepreneur. » Bien sûr, il avait déjà reçu une réponse écrite par voie électronique, mais Éric voulait une double confirmation. Si l’on est bien entraîné, l’intonation d’une voix humaine est une source intarissable d’information. La communication terminée, le voilà rassuré.

Toujours aussi nu et mouillé, Éric réfléchit à la planification de sa journée : d'abord faire de vraies courses, aller à son rendez-vous Psy et terminer par celui de Kiné.

Ce n'est pas un temps d'octobre. Il porte une veste légère, un bermuda et une petite sacoche noire. Il n'est pas encore 9h que déjà ses lunettes se teintent à la lumière vive du soleil.

Dans le tram, une femme prend une communication téléphonique sur son portable en mettant à fond son haut-parleur. Une envie d'y mettre un terme par un coup de pied bien senti traversa l'esprit d’Éric. Mais il y a plus simple et tout aussi efficace. Dans une scène d’une série américaine tirée d’un comics qu’il a vu il y a peu de temps, un prêtre est mandaté pour réfréner l'addiction aux écrans d'une adolescente. Sa technique ? L'enfermer dans une cage recouverte d'un drap. Extrême.

Complètement dans sa bulle, la jeune femme remet son portable à l’arrière de son pantalon rose imprimant sa marque sur sa fesse droite. Il aurait été simple de lui subtiliser son jouet, mais Éric n’était pas un héros du quotidien.

Depuis combien de temps n'était-il pas allé au Centre Commercial du "Grand Carrefour" ?

Il trouve le magasin de jeux vidéo à l’entrée en plein désossage, fermé depuis le mois dernier. Il ne reste donc plus que celui des Condamnés au centre-ville. « Ils ont dû être échaudés par les dégradations et la concurrence directe du "Carrefour Discount" face à eux », supposa Éric.

Ses courses lui semblent acceptables (32,86 €).

Le bras gauche arqué par le poids de ses provisions, Éric suit une dame marchant hâtivement portant un gros sac les deux bras repliés. Vu de dos, on aurait pu croire qu’elle n’avait que des moignons.

Il lui restait un peu de temps pour caler dans son planning une séance de cinéma.

Ce n'était pas un temps normal pour un début de mois d'octobre, on frôlait les 30°C au soleil. Pourtant, à l'arrêt de tram, cela n’empêchait pas une jeune fille assez forte aux cheveux très longs de porter un jean large, une veste beige large et un gros sac à dos noir à petit pois blanc.

Arrivé au cinéma " Coliseum", Éric s'achète un billet à 6,30 € pour regarder The Creator de Gareth Edwards.

Il est seul dans la salle pendant toute la projection. Debout, assis, en haut, en bas, ou en marchant, il put profiter de tout l’espace qui lui était proposé. Il n’en demandait pas tant !

C’est détendu et l’esprit aiguisé qu’il se pointe à son rendez-vous Psy. Dans la salle d'attente une femme âgée corpulente, robe bleue à petit pois blanc et jambes gonflées parcellées de tâches rouges tient son sac noir avec insistance. Ces phalanges commençaient à blanchir.

Éric veut jouer. Pendant sa séance, il feint de craquer (rejouant un traumatisme qu’il pense avoir mieux interprété que l’acteur principal du film qu’il vient de voir). La psychologue lui tend un verre d'eau et deux biscuits secs. Tournant les pages de son agenda, elle lui envoie un sourire contrit : « Revoyons-nous dans quinze jours. »

Éric sort satisfait de sa prestation. La chanson Rosalie de Carlos lui passe par la tête : « Moi Doudou j’ai tous les doooons ! »

Le voilà déjà dans la salle d'attente de son kinésithérapeute. Un moucheron se coince dans les poils de son bras — souvenir du père. Un homme pète puis il se retrouve seul comme au cinéma. Le kiné le prend avec trente minutes de retard. Celui-ci s'excuse car il pensait le prendre plus tard. Éric reste conciliant, il a eu quelques petites joies aujourd’hui qui aident à effacer ce genre de désagrément.

Ils discutent de l'incivisme dans les transports et des comportements dangereux des conducteurs de trottinettes.

Le bilan est plutôt positif aujourd’hui, mais notre protagoniste saura-t-il remplir aussi bien son temps dans les prochains jours ?

Devant des vidéos de personnes dégustant de la nourriture coréenne, nous retrouvons Éric et son fils soufflant sur leurs nouilles instantanées saveurs Yakitori et Sukiyaki.

Regardant ses étagères remplies de DVD et de Blu-ray, un voile d’ennui se pose sur le regard d’Éric.

Lucas part dans sa grotte et Éric tente le film Tomboy de Céline Sciamma, puis son premier film Naissance des pieuvres.

« Dans le cinéma de Sciamma le sexe est triste... » Ce fut le constat qui sonna le glas de cette journée.

 

Coût de cette journée : 39,16 € et une paluche… triste aussi.