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Pascal Craveri - Auteur BD

Je suis auteur de BD, illustrateur et portraitiste. Edité chez MORRIGANE éditions sur 4 romans jeunesse. Auteur également de la série BD en 3 tomes "SUIS LE FLEUVE" chez YIL édition. Depuis 2010 je dessine mon fils tous les mois! :)

Le Coût d'une journée - Chapitre 3 : Le droit de souffler _ 4

Publié le 3 Mai 2024 par Pascal Craveri

Il est 6h30 et Lucas est dans le salon en train de colorier — façon Warhol — plusieurs reproductions de son portrait qu’Éric a dessiné pour lui il y a quelques jours (une demande de son professeur d’anglais).

« Un bon prétexte pour te remettre à dessiner. » Éric se sentit un peu affligé par la grande paresse de son fils.

Il marque d’ailleurs un temps d’arrêt pour interpeller son père ; en effet, il a rêvé trop fort comme dans la chanson du groupe Il était une fois. Éric soupire, tourne les talons et se dirige dans sa chambre pour changer les draps souillés.

Assis sur sa chaise de bureau, il redémarre sa lecture à la page 227 du Dernier Sergent. Il s’arrête sur la vision d’Antoine (le sergent) face à l'horizon à la page 318.

Son fils parti, il coupe le son de sa télévision et écoute le bourdonnement si particulier de la tour de son ordinateur — vieille génération — qui remplit le silence de son appartement.

En allant prendre sa douche, une vision d'horreur l'at­tendait : un cafard agonisant sur le bord de son lavabo. C'est la deuxième fois qu’il voit ce genre de bestiole en deux semaines mais la première fois qu’il en voit une qui agonise.

Ne voulant pas garder ce genre de bestiole dans sa poubelle, Éric enfile ses baskets et s’habille sommairement pour sortir.

En jetant son sac à la benne, il découvre face à lui une voiture dont le pare-brise est brisé et une autre dont les pneus sont crevés.

Un peu plus loin, il aperçoit deux personnes à l'aspect pouilleux se diriger vers le portail d'un garage et essayant vainement de l'ouvrir. Y est garé un véhicule aux deux roues avant absentes. L'un d'entre eux, à la barbe hirsute, le fixe d’un œil noir et lui balance une insulte dans sa langue.

Éric se sent las en remontant ses escaliers.

Un voile couvre de nouveau ses yeux quand il regarde le nombre de DVD et de Blu-ray qui prennent la poussière.

Puis Éric enfourne brusquement dans un sac à dos plusieurs films :

Macadam Cowboy, Paranoïd Park, Requiem for a dream, Lost in translation, Gemini, Hiruko the Goblin, Tokyo fist, Bullet Ballet, Tetsuo, Tetsuo II, Violent Cop, Kids Return, Sonatine, Jugatsu, Désordre, L'enfant de l'hiver, Tickets, La vie est un roman, L'autre, Batman Begins, The Dark Knight et The Dark Knight Return.

Éric fait la grimace quand Joan — le libraire d’occasion de la rue Internationale — lui tend trois billets de dix Euros et lui refuse le film Requiem for a dream (« Il me servira de cale pour mes livres », se résigne-t-il).

Cette cagnotte lui aura au moins permis de s'acheter Black Jack Edition Prestige #2 d’Osamu Tezuka.

À l’embouchure d’une rue, un camion de police procède au contrôle d'un cycliste, le vélo mit à terre. Têtes baissées et les mains jointes, on aurait pu penser qu’ils se recueillaient devant une tombe.

Il lui reste un dernier rendez-vous médical avant son départ chez sa sœur. La secrétaire du cabinet de kinésithérapie est affairée au téléphone, portant comme à son habitude son masque rose.

Le bras droit entouré d'un sac de glace et parsemé d'électrodes, Éric écoute tranquillement la chanson Tu ne m'as pas laissé le temps de David Hallyday.

N'ayant plus rien à manger dans son frigo, Éric fait un crochet pour des petites courses (7,80 €). L’insistance d’une bénévole des "Restos du Cœur" à l’entrée du supermarché lui fait céder trois petites conserves de pâté.

Plongé dans sa lecture du Dernier Sergent, Éric ne voit pas le temps passer. Il quitte précipitamment son domicile en ayant pris soin de débrancher quelques prises inutiles. Bien mal lui a pris de prendre un sweat, l’atmosphère est étouffante.

Lucas et lui se sont donné rendez-vous devant le hall de l’immeuble de sa mère. En remontant la rue, Éric ressent le poids de son sac de sport et du sac de cours de son fils.

L’échange effectué, il laisse son fils se débrouiller puis se dirige à pied vers la gare.

Éric se maudit d’avoir opté pour un sac de sport, peu adapté à une marche forcée. C’est à ce moment-là qu’il reçoit un SMS de son fils :

« Tu as oublié ma sacoche. »

Commence alors un jeu de ping-pong :

« Ben non bigleux ! »

« Elle est où ? »

« Fouille. »

Éric attend puis relance :

« Si c'est celle avec tes sous, elle est dans le sac. »

La réponse se faisant attendre, Éric se décide à lui téléphoner. Il ne décroche pas.

Nouvel tentative par SMS :

« Alors ? »

« J'ai vu », lui répondit enfin Lucas sans mettre de ponctuation.

« Ah ben tu vois ! Allez, bon week-end ! »

La durée de cet échange a permis à son sac de sport de marquer son épaule droite au fer rouge.

Le train de 18h24 est avancé. Ayant perdu tout espoir depuis longtemps de trouver de la quiétude auprès de ses semblables, Éric s’isole le temps du trajet en écoutant de la musique sur son portable.

L'incivisme est une constante inhérente à l’être humain.

Il faut toute la maîtrise dû à notre éducation pour éviter à tout instant un bain de sang.

Des paysages champêtres défilent sous ses yeux. Éric réajuste ses écouteurs ; il a perdu l’habitude de les porter.

C'est Lucie qui vient le chercher à la gare. Sur la route, quelques Food truck se portent à leur attention. Un passage à niveau les arrête, pour la première fois, à la frontière du petit village de leur mère. Celle-ci les accueille au pas de la porte de son garage, finissant de manger un yaourt au chocolat.

Mais Éric ne dort pas chez sa mère ce soir ; Lucie et lui sont de toute façon attendus par leur sœur aînée Myriam pour manger.

Une tarte du Soleil et sa salade illuminent la table de leur aînée. "Paprika" et "Phili" les accueillent de leurs miaulements et "Ghibli" essaye d'attirer leur attention en battant de la queue.

Éric évite soigneusement les chats tout autant que la saucisse qui marche.

 

Coût de cette journée : 37,80 €.